Les IPP font partie des médicaments les plus prescrits dans le monde, et très souvent à long terme. Selon des données de l’INAMI, plus d’un belge sur 6 a reçu des IPP en 2020 (voir Folia mars 2022). Ce chiffre risque encore d’augmenter suite au retrait du marché des anti-H2 en 2020.
Les IPP sont en général bien tolérés, avec des effets indésirables mineurs (p.ex. troubles gastro-intestinaux, céphalées, rash). Les polypes bénins des glandes fundiques sont aussi repris dans les RCP comme effet indésirable fréquent.
D’autres effets indésirables plus rares mais potentiellement graves sont mentionnés dans les RCP, notamment des affections cutanées sévères et des néphrites interstitielles.
On observe également souvent un rebond du reflux suite à l’arrêt du traitement, ce qui peut mener à une reprise injustifiée du traitement.
En novembre 2016, nous avons publié un aperçu d’études observationnelles qui suggéraient un risque d’effets indésirables supplémentaires peu fréquents mais aussi potentiellement graves, dont certains d’apparition tardive, lors de la prise à long terme d’IPP : néphropathies, démence, infections gastro-intestinales, pneumonies, lupus érythémateux disséminé, ostéoporose et fractures, malabsorption de magnésium et vitamine B12 [voir Folia novembre 2016].
Même si les effets indésirables graves liés aux IPP sont rares, ils peuvent devenir significatifs au niveau d’une population fortement exposée, de manière prolongée, aux IPP.
La publication de deux études évaluant entre autres la mortalité sous IPP, l’une randomisée contrôlée (RCT COMPASS), et l’autre de cohorte prospective menée chez des vétérans américains, est l’occasion de faire le point sur les éventuels effets indésirables sévères des IPP en 2022.
Outre ces deux publications, d’autres études ont été publiées depuis 2016, majoritairement observationnelles, avec des résultats parfois contradictoires. Comme pour toutes les études observationnelles, l’interprétation des résultats est difficile en raison des biais possibles (p. ex. population majoritairement âgée, comorbidités, polymédication), et un lien de cause à effet ne peut être établi. De plus, la taille et la durée des études ne permettent pas toujours de mettre en évidence des effets indésirables peu fréquents et/ou d’apparition tardive.
Pour le présent article, des études récentes et méta-analyses ont été recherchées avec comme question les effets indésirables sous IPP. Parmi ces études, deux sont importantes : l’étude COMPASS, une RCT, et une étude chez des vétérans américains, une large étude de cohorte prospective. Ces études sont intéressantes parce qu’elles sont moins sujettes aux biais habituels des études de sécurité, qui sont la plupart du temps observationnelles et rétrospectives.
L’étude COMPASS est une RCT qui a entre autres évalué la sécurité des IPP chez des patients à haut risque cardiovasculaire prenant un traitement antithrombotique. Bien qu’il soit intéressant d’avoir une étude randomisée contrôlée sur la sécurité, il faut noter qu’il s’agit ici d’une population hautement sélectionnée et que la durée de suivi n’est que de 3 ans. Les résultats détaillés plus loin sont donc à prendre avec prudence.
L’étude des vétérans américains est une étude de cohorte prospective qui a évalué la mortalité chez de nouveaux utilisateurs d’IPP ou d’anti-H2.
Selon des données observationnelles récentes, la mortalité globale pourrait être augmentée sous IPP par rapport à la prise d’anti-H2. Les causes seraient cardiovasculaires ou rénales. Un tel lien n’a par contre pas été rapporté dans la RCT COMPASS.
Des données récentes provenant d’études observationnelles et de RCT ont trouvé une surmortalité cardiovasculaire sous IPP (par rapport aux anti-H2) ou une augmentation des événements cardiovasculaires.
L’étude COMPASS n’a pas trouvé de morbi-mortalité cardiovasculaire augmentée.
Des résultats de plusieurs études observationnelles semblent indiquer un lien entre la prise d’IPP et la survenue de cancers gastriques (y compris des décès) par rapport aux anti-H2. L’étude COMPASS n’a pas trouvé de lien entre l’utilisation d’IPP et les cancers en général.1
Plusieurs études de cohorte prospectives récentes attirent l’attention sur un lien possible entre la prise d’IPP et le risque de développer un diabète de type 2, avec divers mécanismes plausibles avancés. Ce lien n’a pas été retrouvé dans la RCT COMPASS.
Une étude observationnelle suggère une augmentation du risque d’asthme chez l’enfant, en particulier chez le nourrisson et le jeune enfant.
Des données observationnelles attirent l’attention sur un risque de fracture chez l’enfant de plus de 6 ans, en lien avec la durée de traitement.
Bactéries digestives multi-résistantes
Une revue systématique d’études observationnelles a trouvé que la prise d’IPP était associée à un plus grand risque de colonisation par des bactéries digestives multi-résistantes (entérobactéries multi-résistantes et entérocoques vancomycine-résistants). Ce risque relatif augmenterait de 80%. Parmi les 17 études, 2 ont trouvé une association entre la durée du traitement et le risque de colonisation.18-22
COVID-19
Certaines méta-analyses d’études observationnelles ont trouvé une association entre la prise d’IPP et le risque de présenter une forme plus sévère de COVID ou de le contracter, mais les résultats sont contradictoires. Des données suggèrent que la prise récente (dans les 30 jours) augmente ce risque mais pas une prise plus ancienne.23-28
Des données d’études observationnelles semblent indiquer un risque de néphropathie et une augmentation des décès dus à une insuffisance rénale chronique. Le risque de néphropathie avait déjà été mis en évidence dans des publications précédentes. La RCT COMPASS n’a par contre pas trouvé de lien.
Diverses publications ont précédemment associé la prise d’IPP à un risque d’infections digestives, en particulier à Clostridioides difficile. La RCT COMPASS a également trouvé un lien avec des infections digestives, mais le résultat n’était pas statistiquement significatif pour Clostridioides difficile. La suppression de l’acidité gastrique qui est une barrière naturelle contre les infections est un mécanisme plausible avancé.
Des données observationnelles attirent de nouveau l’attention sur un risque de fracture chez l’adulte. Il n’a par contre pas été mis en évidence dans la RCT COMPASS.
Concernant les démences et le risque d’infections respiratoires, les signaux mentionnés en 2016 n’ont pas été confirmés, et il n’est pas possible à l’heure actuelle d’affirmer une augmentation du risque pour ces pathologies.
Précédemment, une étude prospective avait montré un lien entre la prise d’IPP et le risque de démence, par rapport aux non-utilisateurs. Cet effet indésirable n’a plus été mis en évidence dans une revue systématique d’études observationnelles ni dans la RCT COMPASS.
La RCT COMPASS n’a pas montré d’augmentation du risque de pneumonie. Des publications antérieures avaient trouvé des résultats contradictoires, certaines montrant une augmentation du risque, d’autres pas.
Le Folia de 2016 évoquait un lien entre les IPP et la survenue de rares cas de lupus érythémateux cutané subaigu. Des publications de 2017 placent les IPP parmi les médicaments les plus à risque de provoquer un lupus érythémateux. Cette estimation est basée sur le nombre de rapports de cas dans la littérature, et ne permet pas d’avoir une idée chiffrée du risque éventuel.35
Concernant le risque d’effets indésirables graves sous IPP, la RCT COMPASS montre des résultats rassurants, mais la population est hautement sélectionnée, et l’étude ne dure que 3 ans. Ces données doivent être interprétées avec prudence, surtout concernant les risques à long terme.
De même, une synthèse de revues systématiques récente, inlcuant des RCT et des études de cohorte sur la sécurité des IPP, confirme que les RCT ne montrent en général pas de lien avec des effets indésirables, et que ceci est inhérent à la nature des RCT (notamment leur durée et une population limitée). Cette revue systématique confirme que, si on se limite aux preuves de haute qualité (surtout RCT), il faut accorder une attention particulière à l’association entre la prise d’IPP et la survenue de fractures, insuffisance rénale chronique ou infection à Clostridioides difficile.36
Concernant la sécurité des médicaments à long terme, nous sommes dépendants de signaux potentiellement biaisés provenant des études observationnelles. C’est également le cas pour les IPP, mais la répétition de certains résultats est un indice qu’il faut être attentif à la survenue d’effets indésirables, y compris graves, avec les IPP, surtout en cas de prise prolongée. Vu le nombre très élevé de patients prenant un IPP, un risque, même faible, peut poser un problème significatif au niveau de la population.
Pour l’instant, les caractéristiques des éventuelles personnes à risque de développer des effets indésirables sous IPP ne sont pas connues.
En attendant des données plus solides, il convient d’être attentif lors de l’instauration du traitement : indication étayée, durée de traitement prédéfinie et évaluation régulière.
Dans plusieurs études, les anti-H2 ont semblé montrer une plus grande sécurité d’utilisation que les IPP. Ils provoquent aussi moins d’effet rebond. Il est regrettable qu’en Belgique aucun anti-H2 ne soit plus disponible, contrairement à la plupart des pays avoisinants.
Rappelons aussi que, lorsqu’on souhaite arrêter un traitement par IPP, le patient doit être informé de la possibilité d’un effet rebond à l’arrêt du traitement. Différentes stratégies peuvent aider le patient à arrêter en cas de difficultés : schéma dégressif (diminution de dose ou augmentation de l’intervalle entre les prises), prise d’un antiacide « de secours » ponctuellement en cas de plaintes [voir aussi Auditorium « Utilisation prolongée d’IPP »].
1 Moayyedi P et al. for the COMPASS investigators, Safety of Proton Pump Inhibitors Based on a Large, Multiyear, Randomized Trial of Patients Receiving Rivaroxaban or Aspirin, Gastroenterology (2019), doi: https://doi.org/10.1053/j.gastro.2019.05.056.
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7 Vahdatzade, B.; de Vries, R. Verhoogde mortaliteit bij protonpompremmers. Pharma Selecta. September 2019.
8 Koretz, Ronald L. In US veterans, PPIs were linked to increased all-cause and some cause-specific mortality compared with H2-blockers. Annals of Internal Medicine (2019 Jan 1) 171 (6): JC35-JC35.
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