Messages clés

  • Une récente étude, présentée par nos confrères de La Revue Prescrire, indique que l’utilisation concomitante d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) et de divers antitumoraux à usage oral et intraveineux est associée à une survie plus courte chez les patients atteints d’un cancer.

  • La survie plus faible observée avec les antitumoraux administrés par voie orale pourrait s’expliquer par une réduction de leur absorption suite à l’élévation du pH gastrique. En revanche, le mécanisme potentiel intervenant avec les traitements antitumoraux intraveineux étudiés est moins clair.

  • Si les IPP sont des médicaments indispensables, il est déconseillé de les prescrire de façon systématique et prolongée sans indication médicale claire, surtout chez les patients vulnérables tels que les patients atteints d’un cancer à un stade avancé.

Des études indiquent une survie plus courte en cas d’utilisation concomitante de certains médicaments antitumoraux et d’IPP

De récents travaux de recherche révèlent que l’utilisation concomitante d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) et de divers médicaments antitumoraux est associée à une survie plus courte chez les patients atteints d’un cancer. Les chercheurs ont évalué des produits de chimiothérapie, de thérapie ciblée et d’immunothérapie. Le présent article de Folia repose sur un article publié par nos confrères de La Revue Prescrire.1

Les différentes analyses (en majorité des études de cohortes) ont dégagé une moindre survie principalement avec des médicaments à usage oral, mais un certain nombre d’études l’ont également fait avec des traitements administrés par voie intraveineuse :

  • le pazopanib dans les sarcomes

  • les inhibiteurs de l’EGFR (p. ex. l’afatinib, l’erlotinib, le géfitinib ou l’osimertinib) dans le cancer du poumon

  • divers traitements administrés par voie orale ou parentérale dans le cancer du poumon avancé

  • les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (comme le nivolumab et le pembrolizumab, qui s’administrent par voie intraveineuse) dans divers cancers de stade avancé

  • la chimiothérapie dans divers cancers de stade avancé

  • les inhibiteurs de BRAF et les inhibiteurs de MEK dans le mélanome malin

  • les inhibiteurs de CDK4/6 dans le cancer du sein.

Dans un certain nombre d’études ayant évalué ce point, la survie diminuait avec la durée de l’exposition simultanée aux IPP et aux médicaments antitumoraux. Voir « Plus d’infos » pour un résumé des résultats des études.

L’article original publié dans La Revue Prescrire1 cite les publications suivantes d’études ayant évalué divers médicaments antitumoraux, avec ou sans IPP. Le présent article de Folia ne mentionne que les résultats de survie, lorsque cela est possible. L’interprétation des études doit toujours prendre en compte les limites inhérentes aux études observationnelles.

  • Étude avec le pazopanib et des IPP ou des antihistaminiques H2 dans les sarcomes (2019)2
    Une étude rétrospective européenne (n = 333) a constaté une survie globale médiane plus courte chez les patients sous traitement concomitant par IPP ou antihistaminiques H2 et pazopanib : 8 mois contre 12,6 mois. La survie médiane diminuait avec la durée de l’exposition simultanée aux IPP et au pazopanib.
  • Étude avec des inhibiteurs de l’EGFR dans le cancer du poumon (2024)1
    Une étude de cohorte française (n = 34 048) a observé un risque global plus élevé de décès chez les patients atteints d’un cancer du poumon qui étaient aussi exposés à un IPP pendant plus de 20 % de leur traitement oncologique. Le rapport de risque (RH) pour le critère d’évaluation de survie globale se montait à 1,6 (IC à 95 % : 1,57–1,64). Autrement dit, ces patients avaient à tout moment de l’étude 60 % de risque en plus de décéder que les patients qui n’utilisaient pas d’IPP pendant leur traitement.
    Le risque de décès augmentait avec la durée de l’exposition concomitante aux IPP :
    • Pour 10 % d’exposition : RH de 1,45 (IC à 95 % : 1,4-1,5)
    • Pour 80 % d’exposition : RH de 2,2 (IC à 95 % : 2,1-2,3)
  • Méta-analyse de divers traitements antitumoraux dans le cancer du poumon avancé (2022)1,3
    Cette méta-analyse a inclus 14 études (n = 13 709), principalement de cohortes rétrospectives.
    Le risque global de décès était plus élevé chez les utilisateurs d’IPP que chez les non-utilisateurs d’IPP. Le rapport de risque (RH) associé pour le critère d’évaluation de survie globale était de 1,35 (IC à 95 % : 1,21-1,51).
    Analyses en sous-groupes :
    • Inhibiteurs de l’EGFR : RH de 1,47 (IC à 95 % : 1,20-1,80)
    • Inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (nivolumab, pembrolizumab, atézolizumab) : RH de 1,42 (IC à 95 % : 1,22-1,65)
    • Chimiothérapie : RH de 1,13 (IC à 95 % : 1,04-1,23)
  • Méta-analyse en réseau de divers traitements antitumoraux dans divers cancers de stade avancé (2023)1,4
    La survie globale a été analysée dans diverses formes de cancers avancés, traités par chimiothérapie ou inhibiteurs de points de contrôle immunitaire, avec ou sans utilisation concomitante d’IPP. Pour les analyses en sous-groupes et les résultats de la méta-analyse en réseau, voir la référence 4.
  • Inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (méta-analyse par paires) :
    Chez les patients atteints de formes avancées de cancer du poumon, carcinome urothélial, mélanome, cancer du rein, cancers «  tête et cou » et cancer non catégorisé, le risque global de décès était plus élevé chez les utilisateurs que chez les non-utilisateurs d’IPP. Le rapport de risque global était de 1,40 (IC à 95 % : 1,30-1,49).
  • Chimiothérapie (méta-analyse par paires) :
    Chez les patients atteints de formes avancées de cancer du poumon, carcinome urothélial, mélanome et cancer gastro-intestinal, le risque global de décès était plus élevé chez les utilisateurs que chez les non-utilisateurs d’IPP. Le rapport de risque global était de 1,19 (IC à 95 % : 1,09-1,30).
  • Inhibiteurs de BRAF (vémurafénib, dabrafénib) ± inhibiteurs de MEK (tramétinib, cobimétinib) dans le mélanome métastatique
    • Étude 1 (n = 192) : l’utilisation concomitante d’IPP était associée à un risque majoré de décès par rapport à la non-utilisation d’IPP, moyennant un rapport de risque de 2,4 (IC à 95 % : 1,6-3,6) (2024)1.
    • Étude 2 (n = 1 028) : il y avait une mortalité plus élevée, mais sans signification statistique, en cas d’utilisation concomitante d’IPP. Le odds ratio s’élevait à 1,1 (IC à 95 % : 0,9-1,4) (2023)1.
  • Inhibiteurs de CDK4/6 (palbociclib, ribociclib) dans le cancer du sein métastatique
    Deux petites études menées parmi des patientes traitées par palbociclib ou ribociclib ont associé l’utilisation d’IPP à une survie sans progression (SSP) plus faible par rapport aux patientes sans utilisation concomitante d’IPP (2022/2023)6,7. Parmi les non-utilisatrices d’IPP, le critère d’évaluation de SSP n’était pas encore atteint au moment de l’analyse.

Quelques données de patients non oncologiques indiquent par ailleurs une mortalité plus élevée pour l’utilisation d’IPP, par rapport aux antihistaminiques H2, en cas de durée de traitement supérieure à un mois1 (voir aussi les Folia de mai 2022).

Mécanisme

L’efficacité réduite des médicaments antitumoraux à usage oral chez les utilisateurs d’IPP peut possiblement s’expliquer par une moindre absorption consécutive à l’élévation du pH gastrique. En revanche, le mécanisme potentiel intervenant avec les traitements antitumoraux administrés par voie intraveineuse est moins clair. Pour les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire, qui sont administrés par voie intraveineuse, une hypothèse est qu’une perturbation du microbiome intestinal induite par les IPP influence négativement la réponse immunitaire, ce qui contribue possiblement à une diminution de l’efficacité de cette forme d’immunothérapie.
Indépendamment d’un effet potentiel des IPP sur certains traitements antitumoraux, les auteurs de l’article paru dans La Revue Prescrire déclarent que l’utilisation au long cours d’IPP peut entraîner des effets indésirables graves, tels qu’infections, fractures osseuses et hyponatrémie, qui induisent possiblement aussi un risque accru de mortalité.

Quelles sont les mesures de précaution recommandées par La Revue Prescrire ?

  • Quel que soit le groupe de patients, il est déconseillé de prescrire des IPP de façon systématique et prolongée sans indication médicale claire. Une prudence particulière s’impose chez les patients vulnérables, comme les patients atteints d’un cancer.

  • L’instauration d’un IPP doit faire suite à une indication médicale claire, surtout chez les patients sous traitement antitumoral.

  • Si un patient utilise un IPP depuis un long moment au début de son traitement antitumoral, il est recommandé d’envisager un arrêt progressif pour éviter les effets rebond. Si un patient prend par voie orale un médicament antitumoral dont l’absorption dépend du pH gastrique, La Revue Prescrire préconise aussi d’éviter les antihistaminiques H2 (ne sont plus disponibles en Belgique sauf la cimétidine en magistrale).

  • S’il est malgré tout nécessaire de neutraliser l’acidité gastrique, un antiacide peut être envisagé moyennant le respect d’un intervalle d’au moins 2 heures entre la prise de l’antiacide et l’administration de tout autre médicament.

Commentaire du CBIP

Les données exposées dans le présent article suggèrent un lien possible entre l’utilisation d’IPP et une survie réduite dans le cadre de certains traitements oncologiques. Il s’agit toutefois d’un signal, d’une observation qui n’établit pas nécessairement un lien de causalité. L’utilisation d’IPP reste justifiée tant qu’il existe une indication claire. Toute interprétation de ces études doit prendre en compte leurs limites méthodologiques, dont le biais protopathique (voir les Folia de mars 2023) non corrigé. Cette forme de biais se produit lorsque des IPP sont prescrits pour les symptômes précoces d’une affection sévère, qui se révèle ultérieurement être la cause de la mortalité accrue. De ce fait, un lien causal est alors établi à tort avec le médicament. Dans nos Folia de mars 2023, nous avons ainsi épinglé deux études observationnelles (chez des patients non oncologiques) dans lesquelles le lien établi erronément entre IPP et mortalité a disparu après l’application d’une correction pour le biais protopathique.

Bien que le signal de survie plus courte ne fournisse aucune preuve de causalité, il est suffisamment pertinent pour être pris en compte dans la prise de décision clinique. Au moment de démarrer un traitement antitumoral, il est donc utile de réévaluer systématiquement l’usage d’IPP, surtout en cas d’utilisation de longue durée sans indication actuelle claire.

Complément de lecture sur les IPP :

Bronnen

La Revue Prescrire. Antitumoral + IPP : survie plus courte. La Revue Prescrire (2025 Jan 1)
La Revue Prescrire. Pazopanib + PPI ou antihistaminique H2 : survie plus courte. La Revue Prescrire (Août 2019)
3 Wei N, Zheng B, Que W, et al. The association between proton pump inhibitor use and systemic anti-tumour therapy on survival outcomes in patients with advanced non-small cell lung cancer: A systematic review and meta-analysis. Br J Clin Pharmacol. 2022;88(7):3052-3063.
4 Chang Y, Lin WY, Chang YC, et al. The Association between Baseline Proton Pump Inhibitors, Immune Checkpoint Inhibitors, and Chemotherapy: A Systematic Review with Network Meta-Analysis. Cancers (Basel). 2022;15(1):284. Published 2022 Dec 31.
5 Ramel E, Prey S, Dutriaux C, et al. Clinical impact of proton pump inhibitors and other co-medications on advanced melanoma patients treated with BRAF/MEK inhibitors. Eur J Cancer. 2024;197:113477.

6 Eser K, Önder AH, Sezer E, et al. Proton pump inhibitors may reduce the efficacy of ribociclib and palbociclib in metastatic breast cancer patients based on an observational study. BMC Cancer. 2022;22(1):516. Published 2022 May 7.