Message clé

Une étude de cohorte rétrospective américaine montre une association temporelle entre l’incidence des endocardites infectieuses et les actes dentaires invasifs dans des groupes à haut risque (c’est à dire les patients avec une prothèse valvulaire, les patients avec un antécédent d’endocardite infectieuse ou avec une cardiopathie congénitale)1.
L’utilisation d’une antibioprophylaxie (principalement l’amoxicilline) dans ces groupes à haut risque est associée à une réduction de l’incidence des endocardites infectieuses consécutives à une intervention invasive. Par intervention invasive on entend des actes dentaires qui provoquent un saignement suite à une manipulation de la gencive, une effraction de la muqueuse orale ou de la région périapicale de la dent (p.ex. détartage sous-gingival, élévation de lambeau, chirurgie parodontale ou endodontique et extraction).
L’étude soutient les recommandations de la European Society of Cardiology (ESC) et de l’American Heart Association (AHA), ainsi que les recommandations belges du KCE (2020) et de la BAPCOC2-5.
 

En quoi cette étude est-elle importante ?

Les personnes souffrant de certaines cardiopathies structurelles présentent un risque plus élevé d’endocardite infectieuse. L’hypothèse d’un lien de causalité entre les actes dentaires invasifs et l’endocardite infectieuse à streptocoques est évoquée depuis longtemps, mais ce lien n’a pas été confirmé jusqu’à présent.
Les actes bucco-dentaires (brossage des dents, utilisation de fil dentaire, mastication, etc.) qui, s’ils provoquent un saignement, exposent à des bactériémies répétées jouent probablement un rôle beaucoup plus important dans le mécanisme d’apparition de l’endocardite infectieuse. Le maintien d’une hygiène bucco-dentaire optimale par le brossage quotidien et un suivi dentaire régulier (au moins annuel), est donc très important pour réduire le degré de bactériémie dû aux actes de la vie quotidienne.

L’utilité d’une antibiothérapie prophylactique chez les patients à haut risque d’endocardite infectieuse en cas d’une intervention chirurgicale dentaire fait débat depuis longtemps. Jusqu’à récemment, aucune étude clinique n’avait évalué l’efficacité de l’antibiothérapie en prévention de l’endocardite infectieuse. Ce qui explique les avis divergents émis dans les divers guidelines. Dans les guidelines britanniques par exemple (NICE, 2015), l’administration d’une antibiothérapie prophylactique n’est plus recommandée2, contrairement aux guidelines de l’AHA (2007), de l’ESC (2015), et du KCE, qui envisagent toujours une prophylaxie en cas de procédures dentaires invasives chez des patients à haut risque3,4. Le guide BAPCOC fait référence au rapport du KCE de 20205.

Une étude de cohorte rétrospective menée aux États-Unis, qui a récemment été publiée, vise à évaluer si les endocardites infectieuses surviennent plus fréquemment après un acte dentaire invasif dans les groupes à haut risque et si cette incidence peut être réduite par une antibioprophylaxie.
 

Conception de l’étude

Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective, menée aux États-Unis, incluant près de 8 millions de patients assurés. Ont été inclus dans l’étude tous les participants âgés de plus de 18 ans et documentés depuis plus de 16 mois dans les bases de données étudiées (janvier 2000 à août 2015)1.

Les participants ont été classés selon leur niveau de risque – élevé ou modéré – d’endocardite infectieuse, en s’appuyant sur les guidelines de l’AHA.

Tableau de classification : évaluation du risque d’endocardite infectieuse sur la base des guidelines de l’AHA
 

Risque élevé Risque modéré
Antécédents d’endocardite infectieuse Cardiopathie rhumatismale
Présence d’une prothèse valvulaire Valvulopathie non rhumatismale
Présence de matériel étranger pour une chirurgie valvulaire conservatrice Anomalies valvulaires congénitales
Cardiopathie congénitale non corrigée incluant shunts et conduits palliatifs Cardiomyopathie hypertrophique
Cardiopathie congénitale entièrement corrigée à l’aide de matériel prothétique ou d’un appareil  

Une analyse de type « case-crossover » a été réalisée pour comparer l’exposition aux actes dentaires « invasifs », « intermédiaires » et « non invasifs » au cours des 30 jours précédant l’endocardite infectieuse (période « cas »), à celle au cours des 16 mois précédents (période « contrôle »).
Voir + Plus d’infos pour la définition des actes dentaires.
Les chercheurs ont comparé l’incidence des endocardites infectieuses après un acte dentaire invasif ou intermédiaire à l’incidence des endocardites infectieuses après un acte dentaire non invasif.

Le glossaire de l’American Dental Association ou les codes de l’ICD-9 ont été utilisés pour classer les actes dentaires :

  1. Actes dentaires invasifs : actes impliquant une manipulation de la gencive ou de la région périapicale de la dent ou une manipulation de la muqueuse buccale (par exemple, extractions dentaires, chirurgie orale, détartrage sous-gingival).
  2. Actes dentaires intermédiaires : soins conservateurs (par exemple, obturation dentaire, pose d’une couronne) ne nécessitant pas une manipulation de la gencive.
  3. Actes dentaires non invasifs : il peut s’agir par exemple d’un examen dentaire de routine, d’une radiographie dentaire, du retrait ou de la pose d’une prothèse amovible.

Les chercheurs ont également comparé l’incidence des endocardites infectieuses dans les 30 jours suivant l’intervention dentaire, avec ou sans antibioprophylaxie.
 

Résultats en bref

Contrairement à ce qui aurait été attendu sur base des recommandations en vigueur :

  • Peu d’antibiotiques ont été prescrits dans le groupe à haut risque (32,6%), même en cas d’exposition à des actes invasifs tels qu’une extraction dentaire (34,6%).

  • Une antibioprophylaxie était parfois prescrite dans le groupe à risque modéré (9,6%) avant un acte dentaire invasif.

Le risque de présenter une endocardite infectieuse était le plus élevé dans les 4 semaines suivant un acte dentaire invasif, en particulier dans le groupe à haut risque où l’on observe un risque deux fois plus important, et un risque dix fois plus important après une extraction dentaire (voir « + Plus d’infos »).
L’antibioprophylaxie (principalement avec l’amoxicilline) était associée à une réduction significative de l’incidence des endocardites infectieuses : globalement une réduction de moitié, et en contexte post-extraction dentaire, l’incidence était 8 x moins importante.

Dans le groupe à haut risque, il y avait une association temporelle significative entre l’endocardite infectieuse et les interventions dentaires invasives dans les 4 semaines précédant l’affection (RH de 2,00 ; IC à 95% de 1,59 à 2,52 ; p=0,002). Cette association était la plus prononcée dans le cas des extractions dentaires (RH de 11,08 ; IC à 95% de 7,34 à 16,74 ; p<0,00001) et des chirurgies orales (RH de 50,77 ; IC à 95 % de 20,79 à 123,98 ; p<0,0001). Dans le groupe à risque modéré, il n’y avait pas d’association positive significative entre endocardite infectieuse et acte dentaire invasif.
Une faible association positive a toutefois été observée entre interventions chirurgicales et endocardite infectieuse dans le groupe à faible risque (RH de 3,5 ; IC à 95% de 1,66 à 7,36 ; p<0,02). Les données antérieures à janvier 2000 étaient parfois incomplètes. Il se peut donc que certains groupes à risque élevé ou modéré aient été considérés à tort comme étant à faible risque. Ceci pourrait expliquer l'association positive observée entre intervention chirurgicale et endocardite infectieuse dans le groupe à faible risque. 
L’antibioprophylaxie était associée à une réduction significative de l’incidence des endocardites infectieuses consécutives à un acte dentaire invasif (RH global de 0,49 ; IC à 95% de 0,20-0,85 ; p=0,01) (extractions : RH de 0,13 ; IC à 95% de 0,03 à 0,34 ; p<0,0001 et chirurgies orales: RH de 0,09 ; IC à 95% de 0,01 à 0,35 ; p=0,002). L'amoxicilline a été prescrite dans 75% des cas, suivie de la clindamycine (17%), de la clarithromycine (4%), de l'azithromycine (3%) et de la céfalexine (1%).
 

Limites de l’étude

  • L’endocardite infectieuse est une maladie rare. Malgré le grand nombre de patients inclus, le nombre de cas d’endocardite dans l’étude reste donc assez faible. Au total, 3 774 hospitalisations pour endocardite ont été recensées sur une période de 16 ans parmi les 8 millions de patients.
    À titre de comparaison : l’incidence de l’endocardite infectieuse est estimée autour de 2 à 10 cas par 100 000 habitants par an6.
    Le faible nombre d’endocardites infectieuses peut s’expliquer en partie par le fait que l’étude incluait seulement des patients assurés et ne concernait donc qu’une partie sélectionnée de la population américaine.

  • Il s’agit d’une étude observationnelle rétrospective qui ne permet pas d’établir un lien de causalité, mais seulement des relations d’association.
     

Commentaires du CBIP

  • Certains actes bucco-dentaires tels que le brossage des dents, l’utilisation de fil dentaire et la mastication peuvent exposer à des bactériémies répétées, en particulier en cas de mauvaise hygiène bucco-dentaire et de saignements associés. Le maintien d’une hygiène bucco-dentaire optimale, par exemple un brossage des dents quotidien et un suivi dentaire régulier (au moins une fois par an), est donc très important pour réduire le degré de bactériémie dû aux actes de la vie quotidienne.

  • Cette étude de cohorte rétrospective montre une association entre endocardite infectieuse et extractions dentaires et chirurgies orales dans les groupes à haut risque.

  • Les résultats de l’étude montrent que l’antibioprophylaxie réduit le risque d’endocardite infectieuse dans ces groupes à haut risque. Il faut toutefois tenir compte de la très faible incidence des endocardites infectieuses consécutives à une intervention dentaire. Le bénéfice escompté doit être mis en balance avec le risque d’effets indésirables lié à l’antibiothérapie.

  • La décision d’initier ou non une antibioprophylaxie est prise de préférence en concertation avec le cardiologue et le dentiste traitant. Le rapport du KCE (2020) propose des recommandations quant au choix de l’antibiotique.
     

Sources

Thornhill MH, Gibson TB, Yoon F, et al. Antibiotic Prophylaxis Against Infective Endocarditis Before Invasive Dental Procedures. J Am Coll Cardiol. 2022;80(11):1029-1041. doi:10.1016/j.jacc.2022.06.030
Prophylaxis against infective endocarditis. London: National Institute for Health and Care Excellence (NICE); September 2015.
3 Wilson W, Taubert KA, Gewitz M, et al. Prevention of infective endocarditis: guidelines from the American Heart Association: a guideline from the American Heart Association Rheumatic Fever, Endocarditis, and Kawasaki Disease Committee, Council on Cardiovascular Disease in the Young, and the Council on Clinical Cardiology, Council on Cardiovascular Surgery and Anesthesia, and the Quality of Care and Outcomes Research Interdisciplinary Working Group [published correction appears in Circulation. 2007 Oct 9;116(15):e376-7]. Circulation. 2007;116(15):1736-1754. doi:10.1161/CIRCULATIONAHA.106.183095
4 Habib G, Lancellotti P, Antunes MJ, et al. 2015 ESC Guidelines for the management of infective endocarditis: The Task Force for the Management of Infective Endocarditis of the European Society of Cardiology (ESC). Endorsed by: European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS), the European Association of Nuclear Medicine (EANM). Eur Heart J. 2015;36(44):3075-3128. doi:10.1093/eurheartj/ehv319
5 Synthese “Richtlijn voor het rationeel voorschrijven van antibiotica in de tandartsenpraktijk” KCE REPORT 332A 2020.

6 Khan O, Shafi AM, Timmis A. International guideline changes and the incidence of infective endocarditis: a systematic review. Open Heart. 2016;3(2):e000498. Published 2016 Aug 25. doi:10.1136/openhrt-2016-000498