Deux publications parues récemment sous des titres évocateurs pourraient mener à des conclusions erronées en cas de lecture trop rapide. La première publication concerne un éditorial dans The BMJ intitulé “Serotonin and depression. The marketing of a myth.”.1 La deuxième publication concerne un article paru dans une lettre d’information électronique ayant pour titre “Cholestérol élevé également défavorable pour les personnes âgées”.2
La rédaction du CBIP estime qu’il est nécessaire de faire un commentaire au sujet de ces publications. D’une part, elles illustrent que le titre d’un article ne reflète pas toujours son contenu et qu’une lecture critique de tout l’article est importante. D’autre part, elles illustrent le fait que des modèles biologiques (p.ex. sérotonine et dépression) ou des résultats d’études avec des critères d’évaluation intermédiaires (p.ex. réduction des taux de cholestérol LDL) ne permet pas de répondre à la question de savoir si un médicament a une valeur thérapeutique cliniquement significative. De telles données peuvent seulement servir de base pour formuler une hypothèse et elles ne se substituent pas aux preuves provenant d’études cliniques avec des critères d’évaluation forts (p.ex. morbidité et mortalité)3.
-
L’éditorial “Serotonin and depression. The marketing of a myth.”
– Cet éditorial paru dans The BMJ a été écrit par David Healy, un psychiatre renommé parfois controversé dans le domaine de la psychopharmacothérapie. Il parle d’un “mythe lié à la sérotonine”, une hypothèse répandue suggérant que la dépression est due à un déséquilibre de la sérotonine dans le cerveau et que les antidépresseurs du groupe des ISRS visant à “normaliser” ce déséquilibre sont une solution toute faite pour le traitement de la dépression. D’après David Healy, ceci est simpliste et incorrect, mais a été admis à tort par un grand nombre de professionnels de la santé et de patients, au moyen de stratégies marketing bien pensées. Selon Healy, cette hypothèse est également à l’origine de la surmédicalisation des affections psychiatriques telles que la dépression et de la surconsommation d’ISRS.
– Commentaire de la rédaction
-
La consommation excessive de psychotropes tels que les antidépresseurs est en effet problématique, également en Belgique.
-
Healy a en effet raison qu’il est simpliste d’affirmer qu’un déséquilibre de la sérotonine est la seule cause de la dépression. Bien que certains symptômes survenant lors d’une dépression pourraient peut-être s’expliquer (en partie) par des modifications des concentrations de neurotransmetteurs centraux tels que la sérotonine, ceci ne prouve pas encore que ces modifications soient la cause de la dépression. On estime que les causes de la dépression sont multifactorielles et qu’elles impliquent aussi bien des méchanismes biologiques – que des mécanismes psychosociaux.
-
Cela signifie-t-il alors que l’on doive abandonner l’emploi des ISRS – comme on pourrait le conclure sur base de l’éditorial de Healy -? Ce serait une conclusion trop simpliste et erronée. D’une part, il est clair que l’efficacité des antidépresseurs (ISRS, mais également les antidépresseurs tricycliques et autres) n’est pas prouvée en cas de dépression mineure (infraliminaire), et que leur rapport bénéfice/risque n’est pas favorable dans les formes légères de dépression majeure. D’autre part, les antidépresseurs peuvent avoir une place dans les formes sévères de dépression majeure, mais même chez ces patients, la valeur réelle des antidépresseurs est difficile à évaluer (entre autres en raison de la faible qualité des études, des biais de publications très marqués – voir à ce sujet les Folia de septembre 2012 – et de l’effet placebo important). Les données n’indiquent pas de différences d’efficacité importantes entre les ISRS et les autres classes d’antidépresseurs. Lors du choix d’un antidépresseur, le risque d’effets indésirables entre autres a également un rôle important; il est admis que la toxicité en cas de surdosage est beaucoup plus faible avec les ISRS qu’avec les antidépresseurs tricycliques.4 [Voir aussi Répertoire Commenté des Médicaments (chapitre 10.3) et Folia de mars 2006 et mai 2008.]
-
Un rapport du KCE publié en 2014 recommande, sur base de la littérature, une psychothérapie en cas de dépression majeure chez l’adulte, de préférence en association à un traitement médicamenteux mais éventuellement en monothérapie; ce rapport sera discuté dans un des prochains numéros des Folia.
-
L’article “Cholestérol élevé également défavorable chez les personnes âgées.”
– Cet article paru dans une lettre d’information électronique portait sur une étude récente menée selon le principe de la “randomisation mendélienne” (voir plus loin). Il a été évalué s’il existe un lien entre un score de risque génétique (déterminé sur base de certaines variantes au niveau de l’ADN), le taux de cholestérol LDL et l’âge avancé. Il ressort de l’étude que les personnes ayant un faible score de risque génétique présentaient aussi des taux de cholestérol LDL moins élevés et avaient également plus de chance d’atteindre un âge avancé5. Ces résultats semblent donc en contradiction avec des études observationnelles antérieures dans lesquelles un taux de cholestérol LDL élevé semblait associé à une plus faible mortalité chez les personnes très âgées, contrairement à ce qui était observé chez des personnes plus jeunes.
– Commentaire de la rédaction
-
Contrairement à ce que semble indiquer son nom, aucune randomisation n’est effectuée lors d’une “randomisation mendélienne”. Il s’agit d’une forme d’études observationnelles. Pour le lecteur intéressé par les aspects méthodologiques, nous renvoyons à un article clair et libre d’accès à ce sujet6.
-
Cette étude permet uniquement de présumer un lien entre un faible taux de cholestérol LDL et une espérance de vie élevée. On ne peut pas en déduire qu’un traitement hypolipidémiant puisse prolonger la vie des personnes très âgées.
-
Doit-on prescrire des statines aux personnes très âgées en bonne santé ayant un taux de cholestérol LDL élevé, comme le suggère la lettre d’information électronique ? On dispose de très peu d’ études randomisées sur les statines chez les personnes très âgées. Dans l’étude PROSPER7 ayant inclus des personnes âgées de 70 à 82 ans, un effet favorable a été observé avec la pravastatine sur le nombre d’évènements cardio-vasculaires, mais pas en ce qui concerne la mortalité totale. On ne dispose pas d’études randomisées chez des personnes âgées de plus de 82 ans. De plus, les personnes très âgées, vulnérables et souvent polymédiquées, présentent souvent un risque élevé d’effets indésirables et d’interactions avec les statines.
-
Pour conclure, on peut dire que cette nouvelle étude n’ajoute rien aux preuves scientifiques déjà disponibles et qu’un traitement systématique par une statine chez des personnes très âgées ne se justifie pas.
1 The BMJ 2015;350:h1771 (doi:10.1136/bmj.h1771); l’éditorial est accessible librement via www.bmj.com/content/350/bmj.h1771
2 www.mediplanet.be/, article de 22/04/15 ( avec mot de passe DocCheck)
3 The BMJ 2011;343:d7995 (doi:10.1136/bmj.d7995) ; Minerva 2014;13:90 (www.minerva-ebm.be/nl/article/8/search/) en 116 (www.minerva-ebm.be/nl/article/1290/search/
4 Martindale (version électronique) ; NICE:” The treatment and management of depression in adults.” National Clinical Practice Guideline 90 (2010), Full Guideline (via https://www.nice.org.uk/guidance/cg90/evidence/cg90-depression-in-adults-full-guidance2
5 Int J Epidemiol 2015, 1-9 (doi: 10.1093/ije/dyv031)
6 BMJ 2012; 345 (doi: https://dx.doi.org/10.1136/bmj.e7325)
7 Lancet 2002 ;360 :1623-30