L’étude JUPITER a évalué l’effet de la rosuvastatine dans la prévention primaire d’accidents cardio-vasculaires. Les principaux critères d’inclusion étaient: un âge > 50 ans pour les hommes, > 60 ans pour les femmes, pas d’antécédents d’affections cardio-vasculaires, LDL cholestérol < 130 mg/dl (3,4 mmol/dl), taux de « high sensitivity C-reactive protein » (hsCRP) plus grand ou égal à 0,2 mg/dl (2 mg/l). L’étude a été interrompue prématurément (après 1,9 ans au lieu de 4 ans): le risque d’accidents cardio-vasculaires était diminué de 44% dans le groupe ayant reçu la rosuvastatine. Le bénéfice en chiffres absolus est limité: 120 patients devaient être traités pendant 1,9 ans pour prévenir un infarctus du myocarde, un accident vasculaire cérébral ou un décès d’origine cardio-vasculaire supplémentaire. Ce bénéfice doit être mis en balance avec le coût élevé et les risques potentiels à long terme, encore incertains, liés entre autres à un taux très faible de LDL cholestérol. L’étude ne permet pas de déterminer dans quelle mesure la baisse du LDL cholestérol ou du taux de CRP contribuait aux résultats. Selon deux éditoriaux se rapportant à l’étude (New England Journal of Medicine, British Medical Journal), il est en tout cas trop tôt pour déterminer en routine le taux de hsCRP lors de l’évaluation du risque cardio-vasculaire, et l’étude JUPITER ne modifie pas pour le moment la politique en matière de prévention primaire des accidents cardio-vasculaires.
Le New England Journal of Medicine a publié les résultats de l’étude JUPITER, une étude randomisée, contrôlée par placebo en double aveugle, sur l’utilisation de la rosuvastatine (20 mg par jour, Crestor®) dans la prévention primaire des accidents cardio-vasculaires [New Engl J Med 2008;359:2195-2207, avec un éditorial 2280-82; un éditorial est également paru dans British Medical Journal 2008;337:a2576].
Les principaux critères d’inclusion étaient: âge > 50 ans pour les hommes, > 60 ans pour les femmes, pas d’antécédents d’affections cardio-vasculaires, LDL cholestérol < 130 mg/dl (3,4 mmol/dl), taux de « high sensitivity C-reactive protein » (hsCRP) plus grand ou égal à 0,2 mg/dl[1] (2,0 mg/l). Les patients diabétiques ou atteints d’une hypertension artérielle non contrôlée entre autres étaient exclus.
Le critère d’évaluation primaire combiné était la survenue d’un infarctus du myocarde, d’un accident vasculaire cérébral, d’une revascularisation artérielle, d’une hospitalisation pour angor instable, ou d’un décès d’origine cardio-vasculaire.
Environ 80% des patients qui ont été évalués pour participer à l’étude n’ont pas été inclus dans l’étude, principalement en raison d’un taux de LDL cholestérol trop élevé ou d’un taux de hsCRP qui n’était pas augmenté. L’étude JUPITER concerne donc une population sélective.
La durée initialement prévue de l’étude était de 4 ans, mais l’étude a été interrompue prématurément (après une durée de traitement moyenne de 1,9 ans) en raison des effets favorables de la rosuvastatine sur le critère d’évaluation primaire.
- L’incidence du critère d’évaluation primaire après 1,9 ans était de 142/8.901 (1,6 %) dans le groupe sous rosuvastatine versus 251 / 8.901 (2,8%) dans le groupe placebo.
- Le risque relatif était de 0,56 [intervalle de confiance à 95 % de 0,46 à 0,69] ; ceci signifie donc une diminution du risque de 44%.
- Le Number Needed to Treat (NNT) était de 82, c.-à-d. que 82 patients devaient être traités pendant 1,9 ans par la rosuvastatine à la place d’un placebo pour prévenir un seul accident cardio-vasculaire supplémentaire.
- Dans l’éditorial du New England Journal of Medicine, la « survenue d’un décès d’origine cardio-vasculaire, d’un infarctus du myocarde ou d’un accident vasculaire cérébral » est considérée comme un critère d’évaluation «fort». Le NNT relatif à la survenue d’un critère d’évaluation cardiaque fort était de 120 (1,9 ans).
Le LDL cholestérol a diminué dans le groupe sous rosuvastatine jusqu’à 55 mg/dl (1,4 mmol/l), et est resté stable dans le groupe placebo. Les taux de hsCRP ont diminué jusqu’à 0,18 mg/dl (1,8 mg/l) dans le groupe sous rosuvastatine et jusqu’à 0,33 mg/dl (3,3 mg/l) dans le groupe placebo.
Quelques remarques, basées entre autres sur les éditoriaux du New England Journal of Medicine et du British Medical Journal
- L’étude JUPITER est la première étude dans laquelle un bénéfice a été démontré pour la rosuvastatine sur des critères d’évaluation cliniquement importants. En raison de l’interruption prématurée de l’étude, certaines informations sont toutefois perdues. Il n’est de ce fait p. ex. pas possible de savoir si l’effet bénéfique de la rosuvastatine se maintient à plus long terme.
- Des études ont déjà été réalisées en prévention primaire avec d’autres statines (simvastatine, pravastatine, atorvastatine), avec peu de preuves quant à un effet bénéfique sur la morbidité et parfois sur la mortalité cardio-vasculaire. Le bénéfice en chiffres absolus est plus faible en prévention primaire qu’en prévention secondaire (c.-à-d. chez des patients avec des antécédents d’affections cardio-vasculaires): un bien plus grand nombre de patients doivent être traités pour prévenir un seul accident cardio-vasculaire. Lors de la décision d’instaurer un traitement par une statine en prévention primaire, des facteurs tels que l’innocuité à long terme et le coût sont dès lors très importants.
- Dans l’étude JUPITER, un taux accru de hsCRP était un critère d’inclusion important. Des études épidémiologiques ont montré un lien entre des taux de hsCRP accrus et des accidents cardio-vasculaires, mais cette relation n’est pas encore clairement établie. La signification de l’effet des statines sur les taux de hsCRP (effet dit “pléiotropique”’) n’est pas encore élucidée, et on ignore s’il s’agit d’un effet de classe. Il n’est pas clair non plus dans quelle mesure cet effet « pléiotropique » contribue à la diminution du risque d’accidents cardio-vasculaires. L’étude JUPITER n’apporte pas non plus de solution: l’étude ne permet pas en effet de déterminer dans quelle mesure une diminution de la hsCRP ou du LDL cholestérol a contribué à une diminution du risque cardio-vasculaire. D’après les auteurs des éditoriaux, cette étude ne modifie pas la recommandation actuelle de ne mesurer les taux de hsCRP dans le cadre de l’évaluation du risque cardio-vasculaire que de manière sélective et exceptionnelle, et non en routine.
- L’interruption prématurée de l’étude JUPITER limite fortement la possibilité d’obtenir des informations concernant l’innocuité à long terme. L’incidence d’un diabète « de novo » était plus élevée dans le groupe sous rosuvastatine que dans le groupe placebo; ceci est un signal qui doit inciter à des études ultérieures. Un lien potentiel entre des taux très bas de cholestérol et la survenue d’un cancer reste aussi controversé.
- Nous avons calculé, sur base du Number Needed to Treat (120 pour 1,9 ans de traitement), quel serait le coût en Belgique pour prévenir un infarctus du myocarde, un accident cérébro-vasculaire ou un décès d’origine cardio-vasculaire supplémentaire par l’emploi de rosuvastatine (Crestor® conditionnement de 98 x 20 mg). Le coût total pour un traitement pendant 1,9 ans de 120 patients s’élève à environ 112.600 euro (environ 940 euro par personne). Dans une population comparable à celle des patients inclus dans l’étude JUPITER, un certain nombre de patients auront un profil de risque cardio-vasculaire suffisamment élevé pour obtenir un remboursement (catégorie b).
- Une vie saine est importante. Des mesures telles que l’arrêt du tabagisme, une activité physique suffisante, une alimentation pauvre en acides gras saturés, et riche en fruits, légumes et poissons, ainsi qu’une consommation limitée d’alcool, doivent toujours être encouragées en prévention des affections cardio-vasculaires, mais aussi en prévention d’autres affections telles que le diabète, l’ostéoporose. L’arrêt du tabagisme par exemple entraîne une diminution du risque au moins aussi importante qu’un traitement par des statines. L’instauration d’un traitement médicamenteux, par ex. par des satines, ne doit pas faire oublier de telles mesures.
[1] En Belgique, les valeurs de CRP sont généralement exprimées en mg/dl, avec des valeurs normales comprises entre 0 et 1 mg/dl (correspondant à 0 – 10 mg/l)