Message-clé

Une étude promue par le fabricant de l’érénumab a comparé cet anticorps monoclonal au topiramate dans la prophylaxie de la migraine chez des patients souffrant de migraine sévère. L’érénumab s’est révélé mieux toléré et plus efficace que le topiramate. En Belgique, l’érénumab n’est remboursé qu’après l’échec d’au moins 3 autres traitements prophylactiques. Le topiramate, quant à lui, n’est remboursé qu’après l’échec du bêta-bloquant propranolol.
Si cette première étude comparative directe entre les nouveaux antimigraineux prophylactiques est intéressante, il existe cependant quelques réserves et il est trop tôt pour adapter la prise en charge en fonction de ses résultats. La réalisation d’études indépendantes est vivement souhaitable.

En quoi cette étude est-elle importante ?

  • Dans l’article dédié aux anticorps monoclonaux dans la prophylaxie de la migraine (Folia d’août 2021), nous écrivions qu’il était impossible d’estimer la plus-value éventuelle des anticorps monoclonaux anti-CGRP (érénumab, galcanézumab et frémanezumab) par rapport aux autres traitements prophylactiques à défaut d’études comparatives directes publiées. Un récent article de synthèse du Geneesmiddelenbulletin1 mentionne une étude randomisée (HER-MES)2 promue par le fabricant de l’érénumab. Nous examinons les résultats de cette étude dans le présent article.

Conception de l’étude

  • HER-MES est une étude clinique randomisée, comparative, en double aveugle, à double placebo, menée dans des centres de recherche allemands et promue par le fabricant de l’érénumab.

  • Étaient éligibles à cette étude, les personnes âgées de 18 à 65 ans qui souffraient de migraine (avec ou sans aura) depuis au moins un an et qui comptabilisaient un minimum de 4 jours de migraine par mois. Les patients qui n’avaient encore jamais pris de médicaments en prophylaxie de la migraine pouvaient participer à l’étude, de même que les patients chez lesquels un traitement par métoprolol, propranolol, amitriptyline ou flunarazine avait échoué ou n’était pas indiqué. Ils ne pouvaient cependant pas avoir pris antérieurement de topiramate, valproate, toxine botulique ou antagoniste des récepteurs du peptide relié au gène calcitonine (CGRP). Parmi les autres critères d’exclusion, citons entre autres un antécédent de maladie cardio-vasculaire sévère, de trouble psychiatrique majeur (p. ex. schizophrénie) et d’idéation/comportement suicidaire.

  • Le critère d’évaluation primaire était le pourcentage de patients qui arrêtait le traitement par érénumab (administré par voie sous-cutanée, toutes les quatre semaines, à la dose de 70 ou 140 mg) ou par topiramate per os (dose d’attaque de 25 mg/j, progressivement augmentée à une posologie de 50 à 100 mg/j sur un maximum de 6 semaines) pendant la durée de l’étude en double aveugle (24 semaines). Le critère d’évaluation secondaire était le pourcentage de patients présentant une réponse, définie comme une diminution de ≥ 50 % du nombre de jours de migraine par mois au cours des trois derniers mois.

Les résultats en bref

  • L’étude a inclus 777 patients (86 % de femmes, âge moyen de 41 ans) ayant en moyenne 10,4 jours de migraine (11 % ≥ 15) par mois. Près de 6 participants sur 10 (59 %) n’avaient encore jamais pris d’antimigraineux prophylactiques auparavant.

  • Le risque d’arrêt du traitement en raison d’effets indésirables (critère d’évaluation primaire) était considérablement plus élevé avec le topiramate (39 %) qu’avec l’érénumab (11 %). Le premier motif d’arrêt était les paresthésies pour le topiramate (10 %), et la fatigue pour l’érénumab (2 %). Les patients ont également été plus nombreux à déclarer des effets indésirables dans le groupe topiramate que dans le groupe érénumab. Les effets indésirables graves ont été rares dans les deux groupes, et aucun décès n’est survenu.

  • L’érénumab a produit une réponse thérapeutique (critère d’évaluation secondaire) chez plus de participants que le topiramate : 55 % vs 31 % des patients ont atteint ce critère d’évaluation au cours des trois derniers mois de l’étude.

    • La dose d’attaque s’élevait à 25 mg pour le topiramate et était progressivement augmentée sur un maximum de six semaines. À la fin de la période de titration, 75 % des participants prenaient une dose journalière de 100 mg, 8 % prenaient 75 mg/j et 7 % prenaient 50 mg/j (dose moyenne journalière de 92 mg). Pour l’érénumab, il revenait aux investigateurs de décider si les patients devaient recevoir une dose d’attaque de 70 mg ou de 140 mg. Un bon quart des patients a reçu d’emblée la dose de 140 mg. Parmi les participants ayant reçu une dose d’attaque de 70 mg d’érénumab, 42 % ont vu leur dose portée à 140 mg.
    • Le suivi après 24 semaines se montait à 95 %.
    • Après 6 semaines (fin de la période de titration pour le topiramate), 26,6 % des patients du groupe topiramate avaient déjà arrêté le traitement, contre 8,3 % dans le groupe érénumab. Durant les trois derniers mois de l’étude, 89,2 % des patients du groupe érénumab prenaient toujours le traitement à l’étude, contre seulement 62,4 % des patients du groupe topiramate (RR pour l’arrêt du traitement par érénumab vs topiramate de 0,27 (IC à 95 % de 0,20 à 0,37)).
    • Le nombre de jours de migraine au cours des trois derniers mois de l’étude avait diminué de moitié au moins chez 55,4 % des patients qui avaient été randomisés vers l’érénumab, contre 31,2 % des patients qui avaient été randomisés vers le topiramate (RR de 1,78 (IC à 95 % de 1,50 à 2,11)).
    • De plus, 81,2 % des patients sous topiramate ont déclaré des effets indésirables, contre 55,4 % des patients sous érénumab. Les paresthésies ont été la première cause d’arrêt du topiramate (env. 10 % des patients), suivies des troubles de l’attention et des effets négatifs sur l’humeur. Du côté de l’érénumab, le motif d’arrêt mentionné le plus souvent était la fatigue (env. 2 %). Des effets indésirables graves sont survenus chez 0,3 % des patients sous érénumab, contre 0,5 % des patients sous topiramate.

Limites de l’étude

  • Le nombre de patients ayant arrêté le traitement par topiramate en raison d’effets indésirables (critère d’évaluation primaire de cette étude) s’est élevé à 39 %, soit plus de deux fois plus que les 18 % que les auteurs avaient émis en hypothèse au moment du calcul de la taille de l’échantillon sur la base d’une étude antérieure. La possibilité d’augmenter progressivement la dose de topiramate sur un maximum de 6 semaines et l’interdiction de diminuer la dose pendant l’étude peuvent avoir joué un rôle. Dans la pratique, le médecin déterminera en effet la dose optimale sur la base de la réponse clinique et des effets indésirables du médicament, selon les recommandations du RCP.

  • La limitation de la dose maximale autorisée à 100 mg peut, selon les auteurs de l’étude, avoir contribué au niveau plus faible de réponse thérapeutique (critère d’évaluation secondaire) sous topiramate que sous érénumab. Dans la pratique, certains patients peuvent bénéficier d’une dose supérieure (jusqu’à 200 mg/j) et les études cliniques ont déjà permis de constater une relation dose-réponse positive3 (bien qu’une dose journalière de 50 mg puisse déjà suffire chez certains patients).

  • La mise en aveugle a vraisemblablement été levée chez une partie des patients, du fait que les paresthésies sont un effet indésirable reconnaissable du topiramate et que les patients avaient reçu des informations sur les effets indésirables potentiels du traitement à l’étude. Des paresthésies sont survenues chez 10 % des patients du groupe topiramate, constituant le motif le plus fréquent d’arrêt du traitement. D’autre part, 4 % des patients du groupe érénumab ont également fait état de paresthésies, vraisemblablement dans le cadre d’un effet nocebo.

  • Dans cet article, les auteurs ne fournissent aucune information concernant l’utilisation d’un traitement de crise pendant l’étude, bien que ce dernier ait été prévu dans le protocole de l’étude. Une différence d’utilisation du traitement de crise entre les deux groupes peut produire une vision tronquée de l’efficacité du traitement prophylactique.

  • Il est difficile de quantifier l’effet du traitement à l’étude, faute de groupe placebo permettant une comparaison des résultats.

Commentaire du CBIP

  • Le Guide de pratique clinique belge pour la Prise en charge de la migraine (2013) considère les β-bloquants métoprolol et propranolol comme premier choix dans le traitement préventif de la migraine et n’envisage le topiramate qu’en cas de contre-indication aux β-bloquants. Au moment de la publication du Guide de pratique clinique belge, il n’était pas encore question de la classe des anti-CGRP [cf. Répertoire 10.9.2, Folia d’août 2021 et Folia d’avril 2023]. Or, ceux-ci offrent de nouvelles possibilités pour les patients chez qui les autres traitements prophylactiques ne sont pas envisageables ou ne sont pas assez efficaces.

  • Le topiramate doit être administré avec prudence chez les jeunes femmes et il est contre-indiqué pour la prophylaxie de la migraine chez les femmes enceintes et les femmes en âge de procréer qui n’utilisent pas de contraception efficace [cf. Folia d’avril 2023]. De même, les anticorps monoclonaux seront de préférence évités pendant la grossesse, à titre de précaution au vu du manque de données chez l’humain [cf. Répertoire 10.9.2.2].

  • Les auteurs de cette RCT comparative directe concluent que l’érénumab est mieux toléré et plus efficace que le topiramate. Ils ont cependant étudié une population sélectionnée de patients souffrant de migraine très sévère (en moyenne 10 jours de migraine par mois). Qui plus est, 6 patients sur 10 n’avaient encore jamais pris de traitement prophylactique auparavant. Ce qui est étonnamment peu pour une population dont la migraine présente un tel degré de sévérité. En outre, la recommandation belge (2013) préconise de commencer par essayer un bêta-bloquant (cf. supra). Dans notre pays, les anticorps monoclonaux anti-CGRP ne sont remboursés qu’après l’échec d’au moins trois autres traitements prophylactiques (dont le topiramate) ou en cas d’inéligibilité à d’autres traitements [cf. Folia d’août 2021] ; le topiramate n’est remboursé que pour les patients présentant une réponse insuffisante ou des contre-indications au propranolol (situation à la date du 01/05/2023).

  • Il se peut que le schéma de titration strict du topiramate ait joué un rôle dans l’important taux d’abandon dans ce groupe. Une étude pragmatique, dans laquelle l’augmentation de la posologie est davantage ciblée sur le patient, s’impose.

  • L’efficacité plus limitée du topiramate, par rapport à l’érénumab, ne peut par ailleurs pas être considérée indépendamment du plus grand nombre d’arrêts de traitement dans le groupe topiramate. En effet, les patients ne pouvaient pas recevoir d’autre traitement prophylactique pendant l’étude en double aveugle. Les patients qui avaient arrêté le traitement à l’étude ont également été inclus dans l’analyse d’efficacité pour les trois derniers mois (analyse en intention de traiter). Cette inclusion peut avoir entraîné une sous-estimation de l’effet du topiramate.

  • Outre le profil risque-bénéfice, le mode d’administration différent (injection mensuelle pour l’érénumab et prise orale journalière pour le topiramate) et le coût (l’érénumab est beaucoup plus cher) interviennent aussi dans le choix entre l’érénumab et le topiramate.

  • Par ailleurs, cette étude ne répond pas à une question importante, à savoir l’innocuité des anticorps monoclonaux anti-CGRP (et, par extension, de tous les produits analogues) chez les patients atteints de graves maladies cardio-vasculaires, compte tenu du risque théorique d’effet vasoconstricteur. Les patients atteints de graves maladies cardio-vasculaires ont en effet été exclus de cette étude (de même que des études contrôlées par placebo portant sur les anticorps monoclonaux). Les patients atteints d’affections psychiatriques ont, eux aussi, été exclus de l’étude. Les études post-commercialisation doivent apporter plus de clarté sur l’efficacité et l’innocuité des anticorps monoclonaux anti-CGRP dans ces populations.

  • Pour en savoir plus sur les effets indésirables des deux médicaments, voir la rubrique 10.9.2. du Répertoire.

  • Cette première étude comparative directe entre les nouveaux antimigraineux prophylactiques est intéressante, mais il est trop tôt pour adapter la prise en charge en fonction de ses résultats. La tenue d’études indépendantes est vivement souhaitable.

Noms des spécialités

Sources

Schwarz EP. Nieuwe geneesmiddelen voor migraineprofylaxe. Steeds minder een hoofdpijndossier. Geneesmiddelenbulletin 2022;56:1-8.
Reuter U, Ehrlich M, Gendolla A, Heinze A, Klatt J, Wen S, et al. Erenumab versus topiramate for the prevention of migraine – a randomised, double-blind, active-controlled phase 4 trial. Cephalalgia. 2021 Nov 7:3331024211053571. doi: 10.1177/03331024211053571.
3 Jackson JL, Cogbill E, Santana-Davila R, Eldredge C, Collier W, Gradall A, et al. (2015) A Comparative Effectiveness Meta-Analysis of Drugs for the Prophylaxis of Migraine Headache. PLoS ONE 10(7): e0130733. doi:10.1371/journal. pone.0130733